Anne-Hélène Reboux, coureuse de la Team SFT sur la Course du Coeur et de l'équipe des Médecins Transplanteurs sur le Challenge Décrochons la Lune pour le Don d'Organes, a profité de cette randonnée en montagne pour participer au challenge et parler du don d'organes !
Retrouvez son témoignage :
Jour 1 : Retour à la case départ. Nous ne serons pas allés bien loin, le voyage s’est arrêté à Sierre. Retard du train, donc nous n’avons pas eu notre bus, et le suivant arrivait bien plus tard. La question de prendre un taxi s’est posée. Mais, en se renseignant, nous réalisons aussi que nous ne pourrons avoir que la première liaison des trois remonte-pentes que nous devions prendre à Saint-Luc du fait de conditions météorologiques mauvaises (neige mais surtout vent). Cela signifie 800 m de dénivelé positif supplémentaires, soit 1700 m de dénivelé positif sur la première journée, ce qui ne serait pas raisonnable en démarrant de Saint-Luc à 11h… et avec une mauvaise visibilité dans un contexte de degré d’avalanche 4 (même si la majorité du parcours prévu passe dans une zone sécurisée, c’est-à-dire avec des pentes alentours pas trop raides).
Fabien, le guide, réfléchit un instant, penché sur sa carte. Je me tais, espérant qu’il trouve une autre stratégie. Je lui dis « je me sens capable de le faire physiquement et psychologiquement ». Mais je n’insiste pas pour ne pas lui mettre une pression supplémentaire dans sa décision. Fabien choisit la prudence, nous rebroussons chemin. En effet, il estime que nous allons arriver tard, fatigués alors qu’il faut tenir 6 jours, et que le premier jour devait être cool, une sorte de mise en bouche ! A l’arrivée, aucun cabaniste ne serait là pour nous accueillir, car c’est le tout début de la saison, ce qui veut dire aussi que nous serions arrivés dans une cabane gelée, avec possiblement des difficultés pour nous réchauffer. Alors, nous remontons dans le train, retour à Sion.
J’en profite pour faire un achat compulsif : Une belle montre pour enregistrer mes exploits. C’est-à-dire que je participe à « Décrochons la Lune pour le don d’organe » : toutes les équipes de la course du cœur enregistrent depuis le mois d’octobre les kilomètres effectués depuis la Terre jusqu’à la Lune, nous sommes 514 participants et avons effectué (chiffres du vendredi 12 mars 2021) 354 916 km sur les 384 400 km. Je suis contente de pouvoir y inclure mes kilomètres (et le dénivelé) que je vais effectuer cette semaine. Et mon ancienne montre se déchargeait très rapidement depuis 2-3 jours, ce qui me causait du souci. Ah ! prisonnière du monde connecté ! Au vu des caractéristiques de ma nouvelle montre, je vais peut-être pouvoir tout faire sans la recharger !
En tout cas, j’ai gagné une douche supplémentaire ! Et quand même, je suis allée m’échauffer, testant ma nouvelle montre en allant courir 2h dans la neige. Car il neige chez moi, à 900 m d’altitude, c’est impressionnant, je me suis enfoncée parfois jusqu’au genou, un 15 mars ! (bon, aux genoux quand j’étais au-dessus de 1000 m !).
Pourquoi cette Haute Route est impériale ? Cela fait référence à la Couronne Impériale qui rassemble les sommets à plus de 4000 m du Val d’Anniviers que nous admirerons tout au long du parcours : Le Bishorn, le Weisshorn, le Zinalrothorn, le Ober Gabelhorn, la Dent Blanche (+/- le Cervin et la Dent d’Hérens selon les versions).
Mardi 16 mars : Nous voilà repartis ! Nous sautons une étape et partons de Zinal. Par prudence, Fabien décide que nous y allions avec sa voiture. Il espère croiser quelqu’un dans une cabane qui redescendra sur Zinal à qui il pourra demander de redescendre sa voiture sur Sierre. Il dit qu’il a toujours eu de la chance l’été quand il a fait ça. Nous nous donnons rendez-vous à Sion à 7h.
Nous arrivons à Zinal à 8h, nous sommes alors à 1670 m d’altitude et nous avons 1700 m de dénivelé positif à faire. Fabien pense que nous arriverons vers 14h. Mais nous débutons par une longue traversée sur le plat, le long d’une rivière (La Navisence) à moitié recouverte de neige. C’est beau ! Le son de la rivière de montagne qui coule dans un paysage silencieux. Quoique, durant une bonne partie de la journée, et avec un degré 4 d’avalanche, nous entendrons un bon nombre d’explosions (déclenchements artificiels d’avalanches) tout au long de la journée et des hélicoptères passent au-dessus de nos têtes pour larguer des explosifs.
Mon sac est assez lourd, et j’ai mal à l’épaule droite… Si c’est comme cela pendant les 5 jours ! Parfois, je glisse mes deux bâtons sous mon sac pour soulager mes épaules !
Nous débutons notre ascension dans une forêt de mélèzes, et nous dirigeons en direction du Roc de la Vache (2581 m). Avec toute la neige qui est tombée, les arbres sont tout blancs, c’est beau ! En grimpant, mon sac s’appuie plus sur mon dos, je n’ai plus mal à l’épaule droite, mais cela tire dans mon trapèze gauche !
Fabien fait péniblement une trace dans 50 cm de neige fraiche. Cela me donne le temps de prendre des photos ! Nous progressons maintenant à découvert. Je découvre le Besso que je ne connaissais pas. Il n’est pas si haut (3668 m), mais je le trouve majestueux. Il joue à cache-cache avec les nuages, se couvre, se découvre. Nous sommes seuls au monde, Fabien fait la trace, son sac est très lourd (avec de quoi manger ce soir puisqu’il n’y aura pas de cabaniste cette fois encore à notre arrivée). Je suis tranquillement. Parfois, nous faisons une pause de 2 à 5 minutes pour nous hydrater et avaler quelque chose.
Je ressens de la fatigue alors que nous atteignons 2400 m d’altitude, nous marchons depuis environ 4h. J’ai des flashs gustatifs : Tout d’un coup un goût de crêpe au chocolat dans le palais, tout d’un coup une envie de bière ! C’est à 2600 m que Fabien propose de faire une vraie pause (10 minutes). Je mange un petit sandwich au fromage à raclette de ma région. Il était temps ! Cela me suffit pour retrouver de l’énergie ! Nous repartons. Il est environ 14h quand je ressens un coup de barre… (nous n’arriverons donc pas à 14h à la cabane de Tracuit…). Je dis à Fabien « je suis hypnotisée par le rythme de tes skis ! La régularité de chacun de ses pas dans la blancheur qui nous entoure…Je commence à faire des rêves éveillés. Je secoue la tête pour me maintenir éveillée. Cela ne m’inquiète pas, j’ai tellement connu cela en faisant mes longues courses de montagnes…Plus tard, je me sens à nouveau bien éveillée, en forme. J’ai passé l’heure de la sieste !
La visibilité n’est pas toujours bonne et Fabien reste aux aguets à chaque instant. Il regarde régulièrement la carte pour choisir la trace la plus sécurisée, loin des pentes raides (le but est de rester le plus possible loin des pentes présentant une déclivité supérieure à 30 degrés). Cela n’est pas toujours possible, et par prudence extrême, Fabien me demande dans ces cas-là que nous prenions des distances de 20, 30 voire 50 mètres entre nous, pour que nous ne partions pas tous les deux dans une avalanche. C’est quand nous traversons une combe qu’il est encore moins tranquille (accumulation de neige dans les combes). Il la traverse en faisant deux longueurs (une conversion entre les deux) et je le rattrape. Nous continuons la traversée, je me sens bien éveillée.
Nous avons tout de même de belles éclaircies, ce qui nous permet, outre de mieux appréhender les risques des pentes (enfin, ça, c’est pour Fabien…), d’admirer les sommets tels le Zinalrothorn et le Weisshorn. Mais la marche est longue ! Quand nous apercevons la cabane du Tracuit, je reprends espoir. Il nous reste 400 m de dénivelé positif. Miracle : Il y a de la fumée qui sort de la cheminée. La cabaniste serait-elle montée ??
Je ne suis pas à la fin de mes surprises (et Fabien non plus !). Nous mettrons deux heures à faire les 200 derniers mètres… Nous devons faire de nombreuses conversions pour rester sur la droite car trop de neige et pente raide sur l’autre partie de la montée. Nous sommes proches des cailloux et de parties plus gelées et mes skis dérapent dessus. C’est surtout les conversions sur ce terrain qui sont plus difficiles pour moi… je suis tendue, j’ai peur. Et au-dessus de nous, les 10 derniers mètres se compliquent encore. Un entassement de neige propice à une avalanche. Je commence à connaitre Fabien (nous avons fait un certain nombre de sorties ensemble), et je sais qu’il est préoccupé. Nous restons silencieux. Il monte en faisant des marches profondes, les skis à la main. Il m’a demandé de rester là où je suis. Je le vois sonder la profondeur de la neige avec un bâton. Il mesure la déclivité. Je lui demande : « combien ? ». Il me répond « beaucoup trop ! ». Plus tard, il me dira que la pente était de 42 degrés mais que surtout, c’était la masse de neige accumulée qui comportait le plus gros risque. Il reste un moment à trouver la solution la meilleure. Je pense « pourvu qu’il décide de continuer ! ». Il est plus de 17h et faire demi-tour maintenant semble compliqué. Nous sommes déjà éprouvés par la journée, cela fait 9h que nous grimpons dans des conditions difficiles, nous arriverions à Zinal tard dans la nuit…si pas d’accident…
Fabien choisit finalement de remettre ses skis et fait une traversée en ligne droite vers la cabane. A ce moment-là, je pense à la mort. J’imagine l’avalanche qui se déclenche sous les skis de Fabien et moi qui part avec. Cependant je me sens calme, vigilante, mais la peur est partie : Je n’ai plus le choix, je suis là (Fabien m’expliquera le soir qu’il m’avait laissée sur l’extrême droite, à l’abri de ce danger : L’avalanche serait passé à côté de moi). Fabien est passé, et tout est resté en place ! Il me fait signe de le rejoindre. Je m’enfonce dans la neige, chaque pas m’essouffle. J’arrive à cette fameuse traversée, je remets mes skis. J’arrive à la hauteur de Fabien détendu : « Maintenant, c’est comme sur des œufs ! » Le danger est derrière nous. Enfin, je ne suis tout de même pas au bout de mon effort : je dois encore grimper le long d’une chaine au milieu des rochers plus ou moins recouverts de neige. Fabien me facilite la tâche en récupérant mes skis et mes bâtons. Et maintenant, je remets mes skis, mais je continue à me tenir à une autre corde pour descendre de l’autre côté une partie escarpée et pas toujours bien enneigée (ces chaine et corde suivent le sentier d’été). Mon taux d’adrénaline et de cortisol est à nouveau très élevé ! LA CABANE !!! On entre dedans. Quelle joie ! Fabien me félicite pour cette ascension éprouvante. Je le félicite en retour car je sais que faire une trace dans de telles conditions est exténuant ! 9h30 d’ascension… maintenant, je comprends mieux pourquoi Fabien ne voulait pas faire 1700 m de dénivelé positif la veille en démarrant à 11h… J’ai déjà fait un tel dénivelé plusieurs fois, mais avec des conditions de neige beaucoup plus faciles et cela prend d’habitude beaucoup moins de temps. La dernière fois avec Fabien : 6h40 montée + descente, avec à la fin une partie de marche les skis sur l’épaule ! Environ 4h pour la montée…)
Alors cette fumée qui sort de la cheminée ? En fait, 3 hommes sont là pour faire des travaux afin de remettre la cabane en route pour la saison ! Ils galèrent, se sont retrouvés les pieds dans l’eau… Cette cabane est une vraie usine à gaz ! J’admire ces hommes qui travaillent dans le froid, avec si peu de confort… Ils sont accueillants, joviaux et leur présence réchauffe le cœur ! La pièce principale est suffisamment chaude (même si nous gardons nos doudounes) grâce au poêle régulièrement alimenté par du bois. Le reste de la cabane, et notamment les dortoirs sont glacés.
Nous commençons par nous assoir et boire un coca-cola, histoire de nous réhydrater et de récupérer. Nous sommes exténués, mais vivants ! C’est fou, mais ce coca a le don de me redonner de l’énergie, je me sens en forme ! Peut-être un peu d’euphorie post-stress ? Je ne sens plus la fatigue. Nous étendons nos affaires pour les faire sécher. Un des 3 hommes nous offre une bière, j’aide Fabien à préparer le repas : il a apporté de quoi faire des pâtes au pesto, ce qui me convient parfaitement bien !! moi qui pourrais manger des pâtes 3 fois par jour ! Ce petit rien dans ce cadre est un festin ! A cette altitude (3156 m) et après un tel effort, mon appétit est cependant limité. Il a aussi apporté de quoi faire du thé et insiste pour que je m’hydrate suffisamment, afin d’assurer une meilleure récupération ! En tant que néphrologue sportive, il n’a pas besoin de me convaincre… Je bois ! Dans les cabanes, à cette saison, il n’y a pas d’eau, nous utilisons de la neige fondue ou venant de cuves pour cuisiner, donc il faut bien la faire bouillir (bien entendu, cela sous-entend pas de douche, et des toilettes sèches !).
Nous débriefons un peu la journée. Fabien m’explique « c’est dans ces cas-là, quand on est à 150 m d’une cabane, que l’on peut être poussé à l’erreur ».
Nous nous couchons à 21h15, le réveil est prévu à 7h, car le mauvais temps prévu n’incite pas à démarrer la nouvelle marche trop tôt. J’ai un dortoir pour moi toute seule, il y fait froid, mais enfoncée dans 3 duvets, je me réchauffe et m’endors. Je me réveille à 5h, somnole jusqu’à 7h.
Mercredi 17 mars : Ce matin, Fabien hésite à monter au Bishorn. A cause du temps : manque de visibilité et neige soufflée par le vent. Finalement, il décide d’aller voir. Le début est assez plat. Aujourd’hui, je supporte mieux mon sac (il n’est pas plus léger…), pas de douleur dans les épaules ni dans le cou ! Je n’aurai quasiment plus mal pendant tout le reste du périple !
Fabien se découvre progressivement (il fait la trace, avec toujours beaucoup de neige), moi je suis à la bonne température car je ne vais pas vite. Cette vitesse me permet de ne pas souffrir de l’altitude. Nous sommes encordés car sur un glacier. Fabien me rappelle : s’il tombe dans une crevasse, je me laisse tomber, je mets mes skis en travers et j’attends qu’il remonte. S’il ne remonte pas, j’appelle les secours. Je dis « mais cela ne va pas arriver ! ». La corde nous sépare de 20 m, et il faut la maintenir tendue. Même si je ne vais pas vite, je m’aperçois que je respire plus vite. A 3500 m, Fabien hésite à continuer. Pas de visibilité, la neige est soufflée à partir de là. Finalement on continue avec les couteaux. Même Fabien met les couteaux. On continue jusqu’à 3800 m. C’est grâce à mes 3 cours de ski avec Mélanie (3x 7h) que la descente sur la glace ne m’inquiète pas. Quand on tourne (nous montons en zigzag), ma respiration se précipite, et je dois gérer la corde pour qu’elle ne se prenne pas dans les skis, dans les bâtons et surtout pas dans mes couteaux.
La visibilité ne s’améliore pas, la neige est de mauvaise qualité, il y a du vent, Fabien décide de faire demi-tour : « A quoi bon atteindre le sommet si nous n’avons pas de vue et pas de plaisir à glisser sur la pente ?! ». Ok. La fois où j’atteindrai le sommet du Bishorn (4150 m), ce sera quand je monterai sur le Weisshorn (4506 m) ! Quand Fabien estimera que j’ai le niveau suffisant pour le faire (ascension très longue et qui demande que je sois mieux adaptée à l’altitude).
Première partie de la descente : on va doucement, puis on retrouve de la bonne neige, puis cela devient plat. Puis on finit par remettre les peaux pour arriver à la cabane de Tracuit. On se pose. Il est 11h. Fabien veut attendre une meilleure visibilité pour repartir. C’est pire qu’hier. La météo avait prévu l’inverse. Le degré d’avalanche, lui, a diminué à 3.
Nous repartons vers 13h. Nous devons repasser par là où nous avons fini l’ascension la veille... Fabien m’explique que c’est moins dangereux, car la descente sera plus rapide que la montée. Il faudra cependant descendre d’une seule traite, j’attendrai qu’il soit en sécurité avant de passer à mon tour. Mais avant, nous partons de la cabane les skis sur l’épaule : il y a le fameux passage avec les cordes… Là, j’ai un peu peur. Je n’aime pas ce genre d’exercice. Nos traces de la veille ont disparu sous la neige. Il a dû tomber environ 15 cm de plus. Je suis Fabien, parfois mon pied dérape. Je passe. Puis nous descendons en nous accrochant toujours à une chaîne. Ici, c’est plus raide, Fabien me débarrasse de mes skis. Il les jette d’ailleurs après avoir jeté les siens plus bas. Il y a tellement de neige que les skis se plantent droits. Puis nous mettons les skis et nous arrivons à ce fameux passage à l’inclinaison d’environ 42 degrés. Ça passe. Je pense encore une fois à Mélanie ma prof de ski. Sans ses cours, je n’aurais jamais pu faire ça ! Ou avec une appréhension encore plus grande et il m’aurait fallu du temps pour me lancer ! et mes cuisses n’auraient jamais supporté l’épreuve. Merci aussi à Christian qui m’a aiguillée vers Mélanie ! Nous continuons. Enfin du ski de descente agréable ! Je fais remarquer à Fabien « beaucoup de neige, c’est mieux à la descente ! La récompense pour le guide ! ». Ici oui, mais plus tard, ce sera différent... trop de neige... (incroyable !). Nous remettons plus rapidement que prévu les peaux car effectivement il y a trop de neige et on n’avance plus. Alors, Fabien modifie légèrement l’itinéraire. Nous grimpons tranquillement, en mettant 50 m entre nous deux, par prudence, du fait de la déclivité des pentes qui nous entourent. Fabien regarde régulièrement la carte. Nous progressons lentement. Le silence de la montagne… aujourd’hui, très peu d’hélicoptères, nous n’entendons pas d’explosion. Ici, Fabien trace des tranchées parfois de 70 cm de profondeur. Nous arrivons en haut d’un col. Fabien réfléchit, mais décide que nous gardons les peaux. Là encore, il jette mes skis et mes bâtons dans la pente, nous nous encordons et je descends quelques mètres très raides en marche arrière, dans la neige, retenue par la force de Fabien, jusqu’à atteindre mes skis. J’ai enseveli mes bâtons par la neige que j’ai repoussé sous moi. Je les ressors. Je me détache de la corde que Fabien récupère. J’atteins difficilement mes skis : je m’enfonce jusqu’à la taille. Cela me réchauffe, je me débats avec la neige, je souffle... je finis par monter sur mes skis par la force de mes bras, je reprends mon souffle. Je rattache mes skis, je préfère mettre mes chaussures sur l’option ski pour plus de stabilité car il me reste une bonne descente à faire sur les peaux. Fabien m’avait dit « tu te débrouilles comme tu peux pour descendre » mais comme il me voit galérer, il me conseille de descendre tout droit. Je l’écoute, et me retrouve vite fait les fesses sur les skis ! Fabien me lance « c’est une façon efficace d’arriver en bas ! ». Je me relève, me pousse sur la gauche, en profite pour faire un tout petit bout de trace en remontant sur la gauche. Pendant toutes mes péripéties, Fabien a eu le temps d’appeler sa fille de 2,5 ans !
Fabien descendra avec élégance sur ses skis (avec peaux) depuis le haut du col. On est guide ou on ne l’est pas... la suite n’est pas si simple. Du moins le parcours sera long. Et avec une très mauvaise visibilité, ce qui est gênant pour observer les potentiels dangers qui nous entourent. Parfois des éclaircies, parfois le soleil qui réchauffe. Je vois un beau sommet et je demande à Fabien son nom. C’est le Besso… Fabien se moque de moi car je ne l’ai pas reconnu… je ne m’attendais pas à le revoir ! Nous tournerons encore autour demain. Il y a parfois aussi des rafales de vent qui rafraîchissent. J’ai moins chaud que la veille, je fais en sorte de garder mes gants le plus possible. Nous aurions dû descendre sans peaux, mais nous faisons là encore un autre itinéraire pour garder les peaux car il y a trop de neige et nous n’avancerions pas en ski de descente, en raison d’une pente pas assez raide... il y a des passages où cela descend, raison pour laquelle j’ai gardé mes chaussures sur la position ski. De toute façon, Fabien progresse lentement pour faire la trace, je le suis facilement. Je respire rapidement malgré tout. Il reste une dernière descente. Nous enlevons les peaux, nous ne glissons tout de même pas beaucoup, ne faisons pratiquement pas de virage. Parfois, plus d’élan du tout et il faut progresser à la force des bras, en marchant (les skis aux pieds) dans la profondeur de la neige. Fabien devant, toujours ! Nous arrivons à la cabane à 16h20. Il y a deux bénévoles cabanistes qui nous accueillent chaleureusement. Ici, il y a des poêles qui réchauffent l’atmosphère. En revanche, les toilettes sont dehors... et à environ 200 m de la cabane. C’est une vieille cabane en bois, confortable, agréable. J’ai un dortoir à moi toute seule (nous sommes les seuls convives !), et on me conseille d’ouvrir la porte pour laisser la chaleur s’y engouffrer (il y fait glacial, pas plus froid que dans le dortoir la veille, mais comme il fait bon dans le reste de la cabane, je perçois la différence).
Ce soir, nous n’avons rien à faire, que nous laisser servir. Nous allons souper une soupe aux carottes roses, du saucisson vaudois avec de la purée et du choux rouge. Au dessert : meringue recouverte de crème fraîche.
Jeudi 18 mars. Aujourd’hui j’ai cassé un bâton. Mais maintenant que je suis face à la vue, une bière à la main, j’ai tout oublié.
Nous nous sommes levés à 5h, avons attendu les premières lueurs pour partir (vers 6h15).
Cette fois, cela a commencé par de la descente. Très vite nous avons eu 2 Wooms (compression d’une couche de neige sous-jacente instable, signe d’alerte de risque d’avalanche si pente raide). Fabien hésitait, cette fois, les 2 Wooms lui confirme de descendre plus bas pour faire le tour même si nous aurons plus de dénivelé pour remonter vers la cabane. Ainsi, nous éviterons les pentes raides. Nous ne traverserons donc pas de glacier de Moming comme initialement prévu ! Nous prenons 50 m de distance à chaque fois, il ne faut pas trop traîner ici, toujours pour la plus grande prudence. Au départ, nous avons une pente d’environ 35 degrés, je prends trop de vitesse, j‘ai déjà les cuisses qui chauffent, je tombe. C’est dur de me relever, pas de force. Je m’enfonce dans la neige. Je finis par me relever, je suis à bout de souffle. Nous ne sommes pas si haut, environ 2500 m de D+, mais cela vient surtout de ma fatigue musculaire suite à l’effort de la veille. Plus tard nous arrivons dans les sapins. Plus de risque d’avalanche ici, mais encore une pensée pour Mélanie qui m‘a fait travailler entre les sapins ! J‘ai moins peur de me lancer. Je tombe une fois ou deux à la fin, je sais que c’est à cause de la fatigue musculaire. Nous traversons une plaque soufflée par le vent, surprise par le changement de neige, je tombe encore une fois. Je me relève plus facilement en l’absence de neige profonde. Plus tard, je suis déséquilibrée (toujours sur cette plaque gelée), je me récupère sur mon bâton qui casse. Eh mince ! Ça, c‘est plus embêtant... je vois bien que cela me déstabilise autant au sens propre qu‘au sens figuré ! Avec ce bâton cassé, je retombe entre les sapins. Finalement, Fabien me bricole un mini bâton et heureusement maintenant nous allons mettre les peaux et monter. Je me débrouillerai pour mettre le bâton du côté amont (distance plus courte du sol). Il me dit qu’on trouvera un bâton à la cabane du Mountet. Nous faisons une pause, Fabien en profite pour faire son travail de bureau. J’envoie un message à ma mère pour lui dire que je suis vivante (pas de réseau dans les cabanes, ce qu’au demeurant j’apprécie). Mes amis attendront samedi pour avoir de mes nouvelles ! D’ailleurs je dis à Fabien « ça sert à quoi de dire aux gens que tout va bien si on a un accident juste après ? ».
On commence à monter. Je préfère la montée à la descente ! Pour la montée, il faut juste mettre un pied après l’autre et avancer. Ce matin il faisait froid. Petit à petit je me réchauffe. Aujourd’hui le ciel est dégagé je peux admirer le paysage. J’ai parfois même très chaud. Quand le vent souffle, il rafraîchit. Nous nous arrêtons à peu près chaque heure pour reprendre notre souffle. Enfin moi mon souffle, et Fabien se remet des tranchées qu’il creuse, même si aujourd’hui la neige est moins profonde. Au début il a eu la chance de trouver une trace de la veille mais cela ne dure pas. Il a un copain guide, Guy, qui doit nous rattraper avec 5 clients. Il espère qu’ils nous rejoignent rapidement afin que Guy, tout frais, passe devant pour faire la trace.
Nous arrivons près de la « grotte de glace ». C’est magnifique ! Surtout les glaçons énormes sur le sol (qui se sont détachés du plafond… attention à ne pas s’installer n’importe où…). Nous traversons sur des cailloux un cours d’eau pour entrer dans la grotte. Avant, nous avons enlevé les skis. Mes chaussures de ski touchent l’eau. Je vais le regretter... nous faisons une courte pause ici puis nous repartons. Fabien, toujours prêt avant moi commence à partir pour faire la trace. D’habitude, je le rattrape car je glisse sur la trace toute faite ! Mais cette fois je galère à remettre mes fixations. Et je n’arrive pas du tout à relever le petit embout à l’avant pour maintenir la fixation à la montée. D’habitude, cela me demande toujours de la force, mais cette fois, c’est impossible ! A presque tous les pas, mes fixations se retirent. Ce n’est pas normal. Je finis par glisser de mes skis et mes jambes s’enfoncent dans la neige jusqu’en haut des cuisses. Cela fait des gros trous autour de mes skis et j’ai peu de place : un mur de neige à ma gauche, une pente enneigée à ma droite. Si je tombe, je ne me ferai pas mal, mais il faudra remonter en s’enfonçant dans la neige... je fais encore des efforts pour remonter sur mes skis. Je glisse plusieurs fois. Je me relève, à chaque pas mes fixations se défont. Bien sûr comme je n’arrive pas, Fabien fait demi-tour. D’où il est, il ne peut me voir. Là, je craque, je lâche quelques sanglots étouffés. Ça fait du bien ! J’extériorise tout : la fatigue, le stress, la rage de ne pas réussir à mettre mes fixations ! J’arrive à la hauteur de Fabien. Je suis comme une petite fille démunie : « j’ai un problème avec mes fixations, je ne comprends pas ! ». En fait, les deux petits trous de chaque chaussure qui s’insèrent dans les fixations sont remplis d’eau gelée... avec la chaleur de son souffle et un couteau, Fabien vient à mon secours. On repart, tout va mieux. Je remarque que je colle moins Fabien que les deux jours précédents. Toujours la fameuse fatigue musculaire qui se fait sentir... au moins, en fabriquant ses tranchées, Fabien va à mon rythme !
Au bout d’un moment, Fabien aperçoit Guy et ses clients. Il s’écrit un grand sourire aux lèvres « voilà la cavalerie ! ». En effet, Fabien se réjouit que son pote Guy face la trace à sa place. En fait, ils ne nous rejoindront jamais...c’est eux qui jouiront de la voie tracée par Fabien !
La cabane se voit au dernier moment. Quel bonheur de l’apercevoir ! Nous avons grimpé un peu plus de 1000 m de dénivelé positif. Encore quelques dizaines de mètres à faire plus ou moins plats, et nous arrivons sur la terrasse ! Il s’agit de la cabane du Mountet (2886 m). Une journaliste de TF1 est là avec son drone. Elle nous demande d’attendre un instant pour faire monter son drone car elle veut filmer notre arrivée à la cabane. Avec une associée, elles font un film de 7 minutes sur les cabanes du Val d’Anniviers.
De la cabane, la vue est magnifique et il y a peu de nuages. Il y fait suffisamment bon pour boire notre bière fraîche au soleil. Nous laissons sécher les peaux des skis à l’extérieur. Nous avons la vue sur la Dent Blanche, le Zinalrothorn, le Trifthorn, l’Ober Gagelhorn, le Grand Cornier.
Là encore, vieille cabane en bois, seule la pièce principale est chauffée, toilettes sèches à l’extérieur.
Fabien va s’allonger. Je ne sens pas trop la fatigue. Pourtant, d’ordinaire, je suis adepte à la sieste… Je commande une bouteille d’eau gazeuse, une omelette et je commence à écrire dans mon téléphone ce que j’ai vécu la matinée tout en me réchauffant dans la pièce principale. J’hésite à faire la sieste, car le dortoir est comme d’habitude glacial ! (Je serai encore une fois seule… et le groupe de Guy dort dans un autre dortoir. Les guides dorment dans le dortoir des guides). Mais comme dans la pièce principale, une cliente de Guy, bavarde, finit par m’agacer, je choisis d’aller m’isoler dans mon dortoir ! Je m’allonge sous 2 duvets, je m’endors une demi-heure. Au réveil, mes pieds sont toujours glacés.
L’heure du souper arrive (18h30), ce qui est toujours un moment agréable, et on mange bien dans ces cabanes ! On commence toujours par une soupe, et ce soir nous finissons par des tartelettes au citron. Fabien aime bien la cabaniste, Perrine, car elle est toujours intentionnée. J’accepte un verre de vin, mais je ne veux pas trop boire pour garder des forces pour le lendemain ! Fabien partage effectivement une bouteille avec son copain Guy. Ils sont contents de se retrouver, et de pouvoir réfléchir ensemble au meilleur passage à prendre pour monter au col Durand. En effet, il va y avoir un passage délicat. Je dis à Guy : « tu l’as échappé belle : Fabien voulait te refiler discrètement son réchaud, mais finalement, il a trouvé quelqu’un le premier soir qui a accepté de le descendre et le déposer dans sa voiture à Zinal ! ». Ainsi, nous en sommes venus à parler de la voiture de Fabien, et oh ! miracle : Après être redescendus sur Zermatt demain en début d’après-midi, plusieurs clients de Guy retournent sur Zinal avant de se diriger vers Lausanne ! Je ris ! C’est génial pour Fabien qui pourra récupérer sa voiture directement à Conthey, où il habite, et qui se trouve sur la route de Lausanne, il n’aura même pas besoin d’aller à Sierre !!
Les journalistes filment le groupe de Guy jouant aux cartes. Puis je vais vers elles, pour leur parler de la course du cœur, de « Décrochons la Lune pour le Don d’Organe ». J’ai peu d’espoir, mais je me dis « qui ne tente rien n’a rien ! ». Elles sont polies et font comme si elles étaient intéressées (mais peut-être le sont-elles réellement ?), je leur parle de Trans-Forme, qui est une association de greffés et à l’origine de la course du cœur, course relai de Paris aux Arcs qui se déroule tous les ans pour promouvoir le don d’organe. Du fait du Covid, le challenge a été remplacé par l’accumulation de kilomètres pour atteindre la distance de la terre à la lune. Une des journalistes note quelques informations, et elles me disent qu’elles en parleront à un collègue de Lyon qui s’occupe de ce genre d’évènement. Elles me disent que cela peut être intéressant puisque nous nous rapprochons de la fin de notre objectif.
Perrine a gentiment installé un chauffage d’appoint dans le couloir entre les dortoirs. En laissant les portes ouvertes, nous pouvons espérer qu’un tout petit peu de chaleur entre dans les chambres… La fraicheur reste de rigueur ! Guy a conseillé à la cliente bavarde qui m’a retransmis l’information : En mettant un duvet sur le matelas, sur lequel on s’allonge ensuite, on se réchauffera mieux. Alors, c’est ce que je fais, mais je mets quand même deux duvets par-dessus moi et je dors tout habillée, en gardant y compris mon pantalon de ski et ma doudoune ! Dans la nuit, je me réveille, j’ai bien chaud (y compris aux pieds), j’en profite pour sortir. Le ciel est étoilé, c’est bon signe pour demain !
Vendredi 19 mars. Ici en Valais, la saint-Joseph est un jour férié.
J’ai entendu Fabien se lever à 5h20, j’en ai fait de même. A 6h30, nous sommes tous prêts à démarrer. Nous portons nos skis sur l’épaule jusqu’à la croix, c’est à dire jusqu’à une centaine de mètres de la cabane, puis nous commençons par une petite descente avant de remettre les peaux. Et là, nous débutons une ascension d’environ 700 m. Nous sommes donc avec le groupe de Guy (5 personnes). C’est Guy qui fait la trace ce qui permet à Fabien de se reposer un peu d’autant plus que notre périple à nous deux n’est pas terminé (Guy retournant avec le groupe à Zermatt le jour-même). J’ai très froid. Pas étonnant, j’ai su plus tard qu’il avait fait -16 degrés Celsius... (sans doute encore moins si l’on prend la température ressentie !). Nous nous encordons car nous sommes sur un glacier (Guy avec 4 clients, Fabien avec un client de Guy moins rapide et moi, moins rapide aussi, car quatrième jour de randonnée ?). D’ailleurs, sur un glacier, il faut savoir que lorsque l’on enlève ses skis (pour mettre ou enlever les peaux), il faut toujours garder un ski au pied, au cas où nous serions sur un pont de neige... et puis, laisser quelques mètres entre deux personnes pour la même raison. Leçon de Fabien la veille. C’est beau à voir, ces deux cordées qui avancent sur cette étendue blanche. Je réalise un rêve. Jusqu’à présent, je ne l’avais vu qu’en photo ou dans des films ou reportages ou en lecture ! Là, j’en fais partie ! Quand nous sortons de l’ombre et que nous nous retrouvons au soleil, Guy propose de faire une pause. Je n’ai pas envie de m’arrêter car j’ai froid. Fabien me fait signe de loin de m’hydrater. Je ne bouge pas, figée, même pas le courage d’enlever mon sac du dos. Un peu plus tard, il me fait signe à nouveau, et comme je sais qu’il a raison, qu’il est important de s’hydrater en altitude, j’obtempère !
Nous nous approchons progressivement du col, à nouveau dans l’ombre, et nous devons nous arrêter un bon moment tandis que Guy part vérifier que le passage que nous devons emprunter est réellement praticable ! Fabien le rejoint pour l’aider à tracer, notamment il donne quelques coups de pelles pour que nous puissions nous arrêter, enlever nos (2) skis, faire des marches. Et là, ce long moment à attendre immobile est terrible, la moitié de mon pied gauche et mes orteils à droite sont gelés. Je rassemble mes doigts dans mes moufles pour les réchauffer, je tremble, je donne des coups de poings dans le vide pour me réchauffer ! Guy fait des marches en grimpant les skis dans une main, tandis que Fabien nous aide à mettre les skis sur notre sac puis nous grimpons l’un après l’autre. Je suis incapable de rien faire, tellement frigorifiée. Une corde est là pour nous aider, mais moi, elle ne m’aide pas beaucoup avec mes moufles… Les marches sont hautes, la neige s’effondre sous chaque pas, nous sommes à environ de 3400 m, je suis essoufflée à chaque pas ! Ce mur passé, nous remettons les skis avec les peaux et nous marchons à nouveau. C’est assez plat. Nous gagnons le soleil. Il faut noter que dans tout ce froid, le cadre est tout de même magnifique, nous sommes entourés par des sommets enneigés. Le soleil finit par nous réchauffer même si mes pieds restent glacés. Nous nous arrêtons alors pour faire une pause, nous désencorder et enlever les peaux pour commencer la descente. Je retrouve le sourire et la parole. J’explique à Fabien « tu vois, quand je me tais, il y a deux raisons possibles : j’ai peur ou j’ai froid. Là, j’avais froid ! ».
En haut, sur le col Durand, nous apercevons le sommet du Cervin. Majestueux. Mais quand nous commençons à skier, je suis prise d’une émotion forte et quelques larmes coulent sur mes joues devant la vue qui se présente à moi, après un tel effort dans le froid... la vue est effectivement à couper le souffle ! Non seulement le Cervin se révèle dans toute sa beauté, mais aussi la tête Dufour, la Dent d’Hérens (qui aurait dû s’appeler la Dent Blanche, mais suite à une erreur de cartographie, les noms des deux sommets ont été intervertis, la Dent Blanche actuelle se trouve dans le Val d’Hérens). Toute une chaîne de montagnes se détache sous nos yeux ! Je m’extasie, je sais que je ne reviendrai pas tout de suite ici ! Quelle chance de jouir d’un tel panorama. Je prends le temps de faire quelques photos. C’est ici que nous nous séparons d’avec l’équipe de Guy. Nous descendons en direction de notre dernière cabane. Nous prenons souvent une distance de 50 m, Fabien m’attendant plus bas, dès qu’il est à l’abri. Cela fait de bons tronçons, les cuisses chauffent, mais cette fois, je ne tombe pas !
Nous arrivons en bas, et Fabien propose que nous fassions une bonne pause (15 minutes ?) avant de remonter vers la cabane. Je me délecte du retour au silence ! Nous sommes à nouveau seuls au monde ! Il nous reste une heure de grimpette avec les peaux. Panorama toujours aussi somptueux ! Je suis aussi fan de la Dent d’Hérens et de la Pointe Dufour que du Cervin. Chacun sa beauté ! Puis nous montons, après que Fabien ait choisi l’itinéraire le plus sûr, car là encore, il y a de belles pentes ! Arrivés à la cabane, nous commençons par boire une bière devant ce fabuleux paysage, puis Fabien aide le cabaniste à creuser un chemin jusqu’aux toilettes. Les cabanistes de la Shönbielhütte, sont suisses allemands et sont arrivés la veille. Je baragouine une ou deux phrases en allemand ! Cette fois, j’ai faim et je mange rapidement une omelette (je n’ai pas manger grand-chose en montant, ayant fini mes réserves). Restée longtemps dehors, je rentre à l’intérieur, commande un litre d’eau chaude et du tilleul et m’installe près du poêle. Mes orteils refusent de se réchauffer...
Le soir, bon dîner. Nous sommes 8 clients, deux groupes de trois et nous deux. Fabien s’inquiète du froid prévu le demain, ils annoncent -20 voire -23 degrés Celsius ressentis. Il dit qu’on verra au lever, on essaiera, et si nous avons trop froid, nous changerons d’itinéraire. Dans le pire des cas, nous rentrerons sur Zermatt (il est prévu que nous finissions aux Haudères). Ce soir, il y a beaucoup de vent et il neige un peu... Après le souper, je m’inquiète que mon gros orteil du pied gauche ne soit toujours pas réchauffé... j’enlève ma chaussette pour regarder et je trouve ce que je craignais : la moitié de mon orteil est bleu. Une gelure probablement de premier degré… (il faut attendre 48 à 72h pour confirmer le degré d’une gelure). Je n’en parle pas tout de suite à Fabien. Je me pose aussi la question de le lui dire... puis je pense « il vaut mieux rentrer plus vite que de perdre un orteil... Je mets un peu de temps à m’endormir (mais je me suis couchée vers 20h) à cause du froid et de cette histoire d’orteil. Ce sacré syndrome de Raynaud... (oui, je sais Zara, on dit Maladie de Raynaud, quand ce phénomène est isolé, mais moi, je ne veux pas que ce soit une maladie ! Même si là, en présence d’une complication, ça ressemble à une maladie…). Je me réveille à minuit, j’ai bien chaud, mes pieds sont bien chauds et je sens toujours taper et des picotements. Mais je me dis qu’au moins, c’est le signe que le sang circule et que la cicatrisation est déjà en cours ! Je descends dehors, le ciel est étoilé, le vent est tombé. Ouf, c’est déjà ça pour demain !
Je mets du temps à me rendormir. Je fais deux rêves : un où mon orteil est beaucoup moins bleu (s’est arrangé), un où il s’est empiré.
Samedi 20 mars. Je me réveille à 4h50 car quelqu’un se lève. Je commence à me redresser, à mettre mon DVA, quand je réalise que Fabien a dit qu’on se levait à 5h30. Je ne me suis pas rendormie. A 5h25, je commence à rassembler mes affaires, à plier les duvets et la couverture, et à descendre prendre le petit-déjeuner. Là, je montre mon orteil à Fabien : L’aspect parait moins grave qu’hier soir, la lésion est moins étendue, de bleue elle est devenue rouge, et il n’y a pas d’œdème... Fabien dit simplement « tu fais gaffe aujourd’hui ! Tu me préviens si ça va pas ? Si tu ne sens plus un orteil, tu me le dis ?! ». Oui, bien sûr... le problème, c’est que la douleur n’était pas différente de ce que je ressens habituellement avec mon Raynaud ! Bonne nouvelle, on ne va pas changer l’itinéraire à cause de mon orteil...
On part à 6h30, le ciel est dégagé. J’admire une dernière fois la vue avec la lumière du lever de jour depuis la cabane. On commence par 10 minutes de peau puis ski de descente. Toujours prudence et vigilance, distances. Après un petit moment nous remettons les peaux. Nous grimpons Dans un cadre superbe. Fabien aurait bien aimé que les 3 gaillards présents à la cabane fassent la trace histoire qu’il récupère. Mais il sait comment cela se passe d’habitude… Les autres randonneurs profitent de la trace que fait le guide ! Cela l’agace ! Fabien ne veut prendre la responsabilité du choix de ses tracés que pour ses clients, pas pour les autres (si accident). Après tout, s’ils ont besoin d’un guide, ils ont cas en payer un ! Effectivement, alors qu’ils se sont levés 30 minutes avant nous, nous sommes prêts les premiers…
Au début de la montée, je sens une bouffée de bonheur monter en moi. Sans doute que je sens la fin de l’aventure s’approcher, et aussi, je suis contente que nous fassions le tracé prévu malgré l’état de mon orteil ! C’est une belle aventure, mais éprouvante ! Je décide d’alimenter ce moment où je me sens heureuse par des pensées positives.
Au bout d’un moment, les trois gaillards nous rattrapent mais restent derrière. Quand on s’arrête, ils s’arrêtent à distance… A un moment, Fabien fait exprès de faire une pause plus longue. Ils finissent par repartir et nous dépassent. J’en profite pour faire pipi d’autant plus que plus haut, il y aura des Séracs et du vent, ce sera plus difficile de s’arrêter ! Oui, nous observons le vent souffler sur les sommets. Je dis à Fabien « d’ici que nous soyons en haut, le vent cessera peut-être de souffler ? ». Fabien me regarde en souriant. Je reprends : « C’est mon côté optimiste… ». Alors que nous faisons une pause au soleil, j’admire un bloc de sérac posé au milieu du champ de neige (signe objectif de danger m’explique Fabien). Nous devons faire une traversée sous ces magnifiques Séracs de couleur bleue. Nous devons parcourir cette zone sans trainer. Fabien m’explique aussi que l’on traverse sous des Séracs uniquement quand il n’y a pas d’autre chemin possible. On s’arrête après les Séracs, petite pause au soleil, nous nous encordons pour traverser le glacier de Stockji. Parfois je photographie ces paysages extraordinaires. Nous avons chaud, nous enlevons une couche ou deux. Mauvaise idée, le vent se met à souffler. Nous rejoignons les trois gaillards et nous reprenons la tête. J’ai très froid, mais je ne dis rien, je sais que Fabien aussi a froid et qu’il va finir par s’arrêter, ce qu’il fait. Nous nous habillons plus chaudement à nouveau. Nous laissons passer les 3 gaillards. Mais ils n’avancent pas…Et là, je me dis, vraiment, Fabien est une force de la nature ! Je lance à Fabien : « Fabien : double les ! ils n’avancent pas !! ». Quand on n’avance pas à son rythme, cela aggrave la sensation de froid… Ils ne vont pas assez vite, mais trop vite pour que Fabien arrive à reprendre la tête. Le vent souffle par rafales parfois suffisamment brutales pour nous bousculer (je sais que lorsque que le vent me pousse ainsi, il souffle à environ 100 km/h).
Heureusement, Fabien finit par bifurquer vers la tête blanche, tandis que les gaillards se dirigent vers Arolla. Nous arrivons sur le sommet de la Tête Blanche (3707 m). Un vent fou nous bouscule et nous envoie de la neige, cela brûle le visage ! Fabien m’aide à enlever mes peaux et me couvrir. Nous nous désencordons. Nous débutons la descente sur le glacier. Prudence absolue de mise, même si la veille, Fabien a appelé un pilote d’hélicoptère qui a survolé le glacier de Ferpècle sur lequel nous nous trouvons. D’après le pilote, le glacier est « bouché » (pas de risque de tomber dans une crevasse). Mais Fabien ne fait pas confiance à 100% à ce pilote qui lui, ne fait que survoler le glacier, et il suit les règles habituelles : je dois suivre ses traces ou ne pas m’en éloigner de plus de deux mètre de chaque côté. Je sens que j’ai perdu mon piolet dans le début de la descente du glacier, ce que me confirme Fabien. Tant pis, un piolet, c’est moins grave qu’une vie ! Je fais une première chute, je peine encore une fois à me relever, enfoncée dans la neige… Et une deuxième chute alors que je ne fais que descendre tout droit, mon ski gauche a accroché quelque chose, je fais un vol plané, perds un ski. Je ne vois pas mon ski, il s’est enfoncé quelque part dans la neige. Je le cherche désespérément. Je vois Fabien au loin qui commence à remettre ses peaux pour remonter vers moi. Finalement, j’aperçois un bout de ski qui dépasse plus bas, là où je ne cherchais pas… Je fais signe à Fabien qui retire ses peaux. La descente se passe bien par la suite, la neige est excellente à skier, mais nous restons tendus car nous cheminons toujours sur le glacier. Nous observons plusieurs grottes de glaces, dont une avec une arche glacée que Fabien photographie. Cadre toujours aussi fabuleux. Fabien a la gentillesse de me prendre en photo dans cet endroit de rêve, mais j’ai du mal à sourire. Ensuite, on arrive plus bas, Fabien voit 2 renards, je n’en vois qu’un, ils s’enfuient. On voit leurs traces de pas qui partent dans tous les sens autour du terrier et assez loin du terrier encore ! Puis des traces de pattes de lièvres. C’est apaisant de voir des traces d’animaux ! Nous ne sommes plus sur le glacier et pouvons nous détendre. Nous traversons une gorge, puis nous faisons une pause. Fabien dit qu’il reste une heure, il restera en réalité un peu plus. Fabien est maintenant totalement détendu : Le risque d’avalanche est maintenant nul ! Je me sens bien, heureuse. Je me dis qu’il faut profiter de ce moment avant de retrouver la civilisation.
En fait, nous ne sommes pas à la fin de nos peines. Un peu de peau très agréable sur du plat, mais ensuite dans les sapins, finalement, nous enlevons les peaux pour skier un peu. Puis nous arrivons sur une route où nous glissons avec peine. Puis nous passons notre temps à enlever et remettre nos skis (sinon nous les portons sur l’épaule). Un passage dans une grotte au sol verglacé. Je m’étale de tout mon long (sans me faire mal) ! Il y a encore des stalactites et stalagmites énormes qui se rejoignent. C’est très beau !
Nous finissons dans un champ, nous remettons les skis 100 m puis nous retrouvons un sentier pédestre à moitié enneigé, à moitié boueux jusqu’aux Haudères. J’ai mal à mes 2 gros orteils. Ça tape à chaque pas. Mais je suis contente, c’est signe qu’ils sont vivants !
Nous arrivons enfin, achetons du coca-cola dans une petite grande surface, attendons le bus pendant 1h. J’écris des messages à ma famille et à mes amis, prends des notes de ma journée. C’est fini. Bientôt la douche, soirée chez Bertrand, travail demain.
Je me sens apaisée. Cette semaine associant effort physique, attention et vigilance presque permanente et silence, dans un climat rude, loin du quotidien, était comme une retraite pour moi. J’ai cassé un bâton, perdu mon piolet, j’ai un orteil bleu. Mais je suis heureuse ! Déjà je me réjouis à l’idée de revivre une autre aventure en passant de cabane en cabane l’année prochaine !